jeudi 26 novembre 2009

Les madeleines (2) : Queen et moi

N'y allons pas par quatre chemins : Queen est certainement un des groupes les plus honnis de la blogosphère (avec Dire Straits peut-être). Pour quelle(s) raison(s) ? Je ne suis peut-être pas le mieux placé pour répondre à cette question mais voici en gros les qualificatifs régulièrement affublés au groupe de Freddie et ses acolytes : pompeux/pompier, grandiloquent, lourdingue, putassier, boursouflé, kitsch...On les accuse même d'avoir ouvert la voie à des musiciens encore pire qu'eux : en gros tout le mouvement du "hard mélodique", avec des groupes tels que Def Leppard, Extreme, voire même les Guns 'n Roses. Aujourd'hui encore cela continue, pensez à Mika, Muse ou à cette vaste blague qu'est la comédie musicale sur Mozart.

Malgré ce constat pas très reluisant, je pense que je ne pourrais jamais détester Queen, qui restera toujours pour moi le groupe qui m'a introduit au rock il y a une petite dizaine d'années, vers l'âge de 14 ans. D'aucuns diront qu'il ne s'agit certainement pas de la meilleure porte d'entrée mais rétrospectivement, ce fut un cap important dans ma "quête" de futur mélomane : avant Queen, j'écoutais assidument la radio et a fortiori toute la musique de variété qui y était programmée (il n'y avait pas beaucoup de disques à la maison donc je n'avais pas d'autre choix). A part quelques bribes des Beatles, ce n'est donc qu'à partir de Queen que j'ai commencé à écouter de la musique plus sérieusement.

Et ce groupe avait tout pour m'impressionner : des titres épiques et accessibles, un certain sens de l'ambition, du charisme, de la virtuosité, un côté très versatile (ils ont investi presque chaque genre musical),...Queen m'a littéralement obsédé pendant de nombreuses années et j'ai fini par dégoûter ma famille et mes amis à force de vouloir leur imposer mes idoles. Je passais ainsi une grande partie de mon temps libre à parcourir les forums de discussion sur le groupe, j'ai acheté patiemment leurs disques les uns après les autres, j'ai dû voir leurs clips et leurs lives une bonne centaine de fois...Et j'en étais certain à l'époque : Queen était et serait toujours pour moi le meilleur et le plus grand groupe du monde.

Qu'en est-il aujourd'hui ? Et bien je mesure avant tout le chemin parcouru. Ce qui m'émerveillait avant me laisse plutôt de marbre ou a tendance à m'irriter assez rapidement, comme l'aspect poussif des mélodies, des arrangements et de la production : Queen, c'était avant tout le règne du too much, le groupe qui préférait faire compliqué la où on pouvait faire simple, qui n'hésitait pas à sacrifier l'émotion que certains titres auraient pu procurer en la noyant sous une avalanche d'effets et d'ornements. Finalement, ils représentent parfaitement la déchéance du rock : ils n'ont rien inventé mais ont poussé à l'extrême la musique des Beatles ou de Led Zeppelin en offrant un grand bazar éhonté, qui n'avait de limites que la mégalomanie affichée de leur leader Freddie Mercury (rien que le nom déjà...).

Pourtant le groupe s'en est plutôt bien sorti : quasi unanimement massacré par les critiques mais suivi par un public fidèle. Il faut dire que leur sens de l'humour (non il ne faut pas les prendre au premier degré!), peut-être pas toujours bien perçu de ce côté-ci de la Manche, plaidait en leur faveur. Leurs concerts des premières années, bien que très théatraux, donnaient à voir un groupe soudé et talentueux, avant que le spectacle ne prenne le dessus sur la musique proprement dite. D'ailleurs, la première période de Queen (les albums des années septante donc), demeure pour moi un plaisir coupable auquel il m'arrive de succomber. Et j'irai même jusqu'à considérer leurs années 73-76 comme un âge d'or, qui contient son lot d'albums mémorables, comme mon préféré, "Sheer Heart Attack".

En conclusion, Queen, dans l'histoire du rock, ne fait peut-être pas le poids face aux Beatles, Dylan, Bowie ou autres Neil Young, mais reste à mon sens une excentricité - dans laquelle je me suis perdu un long moment - mais qu'on aurait tort de condamner trop sévèrement. Un groupe parfait pour non-initiés (ne voyez aucune méchanceté là-dedans) et qui offre ce que la plupart des gens attendent de la musique populaire (le constat est le même pour le cinéma) : un moment de distraction, d'entertainement. Ce que Mercury lui-même reconnaissait et assumait pleinement : "My songs are like Bic razors - for fun, for modern consumption. Disposable pop". Ou encore : "I like people to go away from a Queen show feeling fully entertained, having had a good time. I think Queen songs are pure escapism, like going to see a good film - after that, they can go away and say that was great, and go back to their problems. I don't want to change the world with our music". Ce rôle là, ils l'ont bien rempli. Pour ce qui est de la musique sérieuse, il en existe assez par ailleurs...

dimanche 15 novembre 2009

Two Nights at the Circus

Il y a une semaine, j'assistais au concert de Grizzly Bear au Cirque Royal de Bruxelles. Le lendemain, c'était les Kings of Convenience qui venaient nous faire un petit coucou au même endroit. Deux de mes favoris de cette année musicale pour deux soirées marquantes. Récit croisé...

Crédit photo : Kmeron (superbes photos du concert des Grizzly à voir sur Flickr)

Il serait absurde de vouloir mettre en compétition les deux performances, qui n'ont pas grand chose à voir musicalement. D'ailleurs je ne saurai les départager, vu qu'elles m'ont beaucoup plu toutes les deux, et pas forcément pour les mêmes raisons.

Les Grizzly Bear, dimanche, venaient défendre leur très plébiscité Veckatimest, leur album le plus ambitieux à ce jour, dont j'ai déjà parlé par ailleurs. Comment allaient-ils transposer en live les arrangements et les chœurs sophistiqués du disque ? Mes inquiétudes allaient vite être balayées : les gars savent y faire et on a assisté à une prestation à laquelle il y aurait très peu à redire, si ce n'est peut-être l'abus de reverb sur la voix d'Ed Droste (on n'entendait que la fin de ses phrases, ce qui n'était heureusement pas le cas chez Daniel Rossen).

Le lundi, il s'agissait par ailleurs du premier passage des Kings of Convenience par la Belgique, ce pays tellement insignifiant qu'il leur rappelle...la Norvège (dixit l'excellent Erlend Øye) ! Le duo venait lui aussi nous présenter ses nouveaux titres, issus du tant décrié Declaration of Dependance, que je continue de mon côté à défendre mordicus. Le concert se passe de manière très intimiste et en deux parties : les deux chanteurs s'accompagnant à la guitare au début, avant d'être rejoints par un violoniste et un contrebassiste. Et comme sur disque, ces deux versants se complètent parfaitement, et on ne s'ennuie pas une seule seconde.

Ceux qui ont déjà été au Cirque Royal savent que l'endroit est plus proche d'une salle de spectacle type théâtre qu'un lieu de concert proprement dit. On dirait aussi qu'il y règne une ambiance spéciale, de celles qui laissent présager qu'il va se passer quelque chose de particulier (comme j'aurais aimé y voir Arcade Fire ou Sigur Ros il y a quelques années...). Ces deux rendez-vous n'ont pas fait exception et on pouvait sentir une certaine magie dans l'air, même si elle s'est exprimée différemment. Pour résumer, les Grizzly ont tout donné et livré un concert impeccable musicalement. On ne pourrait donc leur reprocher que d'être peu loquaces entre les chansons, mais ce serait presque un crime de lèse-majesté au vu de la qualité de la performance. Cependant, on a eu l'impression d'avoir affaire à un groupe moins "généreux" que ne l'ont été les Norvégiens, toujours prompts de leur côté à détendre l'atmosphère avec quelques blagues ou anecdotes. Ils ont également livré un concert de deux heures (avec deux rappels), là où les Américains nous ont laissé sur notre faim avec un rappel d'une seule chanson et une soirée que l'on aurait aimée plus longue.

Tout ceci pour dire qu'un concert peut s'apprécier de différentes manières. Pour les premiers, la musique se ressent avec les tripes et nous électrise : on est emporté par le fait-même de ressentir en direct ces morceaux si prenants ("Ready Able" est un sommet dans le genre) et on en prend plein la tronche, pour le dire crument. Pour les seconds, on assiste à un tout autre phénomène : une salle de près de 2000 personnes qui assiste à une prestation pas moins intime que si on avait été une vingtaine, un sourire sur toutes les lèvres tant la communion avec les artistes est totale (on a été jusqu'à reprendre la partie de Feist sur "Know How" ou comment l'alchimie de deux artistes peut aussi s'étendre à son public). Et quand une spectatrice est invitée à danser avec Erlend sur "I'd rather dance with you", c'est comme si une partie de nous était également sur scène en train de vivre ce moment jubilatoire.

Tout est affaire de sensibilité mais pour le coup, on a le sentiment d'avoir vécu des moments uniques et qui dépassent l'impression mitigée, que l'on a trop souvent, d'avoir passé "un bon moment". Un concert c'est (ou ça devrait être) bien plus que cela...

En bonus : un autre écho (plus détaillé) du concert de Grizzly Bear par Emmanuel de "Des oreilles dans Babylone".

mercredi 4 novembre 2009

Sufjan : King of the Railroad

Je ne vous raconterai pas toute l'histoire - un peu mégalomane mais on commence à avoir l'habitude avec Sufjan - de sa dernière création : une "ode" au Brooklyn Queens Expressway (une autoroute qui a tout l'air d'une catastrophe architecturale), et...au hula-hop ! S'il y en avait encore pour penser que cet homme se prend au sérieux, leurs certitudes devraient définitivement s'effondrer.

Ce qu'il est important de préciser par contre pour mieux contextualiser cette œuvre, c'est de rappeler qu'il s'agissait à l'origine d'un spectacle, présenté il y a plus de 2 ans, qui mélangeait un film conceptuel sur le BQE (sur un écran en triptyque), la musique de Sufjan et son orchestre, ainsi que des "performances" de hula-hop. Comme il l'a déjà fait par le passé (le Christmas box, les chutes d'Illinoise), Stevens n'a pu s'empêcher de sortir également une version "album" de son travail. Certains lui reprocheront sans doute de nouveau d'en faire trop (est-ce que tout est toujours bon à entendre ? Ne devrait-il pas faire le tri dans ses sorties ?), les autres, qui se délectent de toute nouvelle note sufjanienne, lui en sauront gré.

Alors comment appréhender cette dernière livraison ? On peut l'envisager, comme l'a fait Marc, par la musique seule. Toute la question est de savoir si celle-ci fonctionne sans son pendant visuel : j'aurais tendance à répondre par l'affirmative même si on n'a bien sûr pas affaire ici à la suite tant attendue d'Illinoise. On n'est cependant pas complétement dépaysé vu que les ambitions classiques et les arrangements osés de Sufjan nous étaient déjà connus, bien que cantonnés jusqu'ici à un format pop. Ici il met ses talents au service d'une mini-symphonie qui incorpore des éléments de musique classique, jazz et électronique : il revendique d'ailleurs des influences aussi diverses que George Gershwin, Terry Riley, Charles Ives ou encore Autechre. Sur papier, tout cela semble un peu improbable mais Sufjan s'en sort avec brio, surtout si l'on considère cette musique pour ce qu'elle est en fin de compte : une bande originale qui accompagne le film sur cette maudite autoroute, et qu'il a lui-même réalisé.

Ce n'est donc pas pour rien que Sufjan a inclus avec cette sortie le DVD du BQE, qui (dé)montre bien en quoi ce tronçon, qui relie le quartier du Queens à Brooklyn, est réellement une horreur. On comprend dès lors mieux où il veut en venir et en quoi la musique décrit de manière convaincante ce que peuvent ressentir ses usagers (c'est d'ailleurs assez oppressant par moments). Vu qu'il s'agit d'une œuvre purement formelle, je ne suis pas certain de revenir souvent sur cette réalisation mais il faut bien admettre que le film et la musique forment un tout extrêmement cohérent. Un bémol toutefois : la métaphore du hula-hop (qui renvoie à la roue, aux véhicules qui semblent "tourner en rond",...) n'a pas réellement pu être incorporée dans le film. Si lors des représentations l'interaction avec les "Hooper Heroes" (c'est leur nom) devait constituer un plus, elles n'apparaissent presque jamais dans le DVD, contrairement à ce que l'on pourrait croire en regardant le trailer.

Finalement, l'objectif que l'on soupçonne et qui est de vouloir recréer la performance artistique de 2007 ne peut évidemment pas remplacer l'expérience de l'avoir vécue "en vrai". En effet on aurait bien sûr voulu être là pour entendre en live l'orchestre de 25 musiciens, s'étonner de la performance des "danseuses", admirer les costumes et expérimenter le film sur écran géant. A défaut on se contentera de l'objet proposé par Sufjan à qui on ne peut pas reprocher d'avoir fait les choses à moitié : il suffit de voir le packaging, qui réussit à transmettre assez fidèlement l'expérience du BQE dans toute sa laideur (renforcée encore par des lettrages complétement hideux). Celui-ci inclut également un disque avec des images 3D des Hooper Heroes (à défaut de pouvoir avoir les vraies?) mais que je n'ai pas encore pu expérimenter. A noter aussi qu'un livre est annoncé pour bientôt.

Un extrait offert par Asthmatic Kitty, où vous pouvez aussi commander l'objet et ses dérivés :

Sufjan Stevens - Movement VI : Isorhythmic Night Dance with Interchanges

Et deux titres bonus qui clôturent le DVD (dont un morceau inédit chanté par Sufjan!) chez Erwan.